Maison Pierre Seilhan

menu-ensavoirplus

Le plafond peint de l’amphithéâtre Bruno de Solages

autrefois chapelle du couvent de l’Inquisition

En 1647, les Prêcheurs de Toulouse entreprennent de transformer l’ancienne salle d’audience de l’Inquisition en chapelle ouverte aux fidèles. Or, se présente à eux un jeune homme de dix-huit ans, Balthasar-François Moncornet (1630-1716). Fils du graveur Balthasar Moncornet établi à Paris rue Saint-Jacques, à proximité du grand couvent des Jacobins, il désire devenir membre de l’Ordre. Revêtu de l’habit et ayant pris le prénom de Balthasar-Thomas, le jeune novice convers se voit confier la décoration des quinze caissons du plafond de la nouvelle chapelle. Il s’agit de présenter des épisodes de la vie de saint Dominique et, sous l’impulsion de la réforme entreprise par Sébastien Michaelis, de méditer sur le propos fondateur de l’Ordre.
Pour ce travail – le premier qu’on lui connaisse – frère Balthasar-Thomas n’est pas démuni. Au début du XVIIe siècle, à Paris1 et à Anvers2, des vies illustrées comprenant trente-deux scènes gravées avaient été éditées et diffusées. Plusieurs siècles après les retables catalans et italiens, elles transmettaient de manière commode les principaux traits à retenir de la vie de saint Dominique. En raison de la configuration du plafond, Frère Balthasar-Thomas et la communauté durent choisir quinze scènes parmi les trente-deux modèles. Ils les sélectionnèrent de façon à produire un discours cohérent, rythmé en cinq rangées de trois tableaux, développant chacune un thème principal.
D’un point de vue stylistique, frère Balthasar-Thomas fit également appel à d’autres gravures, telle celle d’Aegidius Sadeler figurant l’apparition de saint Pierre et de saint Paul à saint Dominique2. Il fallut deux années au jeune novice, de 1648 à 1650, pour mener à bien son œuvre, toujours visible après une période d’enfouissement sous un faux plafond (1860-1990).

plafond


 

1-Ioannes Nys, Vita et miracula S. P. Dominici prædicatorii ordinis primi institutoris, [Parisiis], [Ioanne Le Clerc], [c. 1610].
2-Ioannes Nys, Vita et miracula S. P. Dominici prædicatorii ordinis primi institutoris, Antverpiæ, apud Theodorii Gallæum,1611.
3-Aegidius Sadeler, Apparition de saint Pierre et de saint Paul à saint Dominique, 1611. Gravure au burin sur papier, 540 x 392 mm. Inv. RP-P-OB-5138, Rijksmuseum, Amsterdam (Pays-Bas).

1e rangée

Les signes annonciateurs

La rangée déploie les thèmes principaux de la vie de saint Dominique à l’aide de récits fondateurs légendaires et historiques.

vie-saint-dominique-1

 

Premier tableau : le baptême de saint Dominique
Le détail principal de l’œuvre – malheureusement peu visible – est l’étoile placée sur le front de Dominique bébé, baptisé en l’église paroissiale de Caleruega (Castille) son village natal. L’astre manifeste la grâce divine qui vient habiter l’enfant, d’où la présence dans le haut du tableau, de la colombe, symbole du Saint Esprit. L’astre indique également que Dominique fut lui-même une étoile brillante guidant ses contemporains :

« Ainsi notre mère la sainte Église tressaille-t-elle d’allégresse lorsque, dans la splendeur de son firmament illustré déjà par l’éclat si varié des saints, vient à briller une nouvelle étoile qui projette une rare et suréminente lumière. »

Grégoire IX, Mandat pour la canonisation4.

Cette valeur symbolique de l’étoile est ici plus importante que le récit hagiographique :

« Il parut à sa mère spirituelle que l’enfant Dominique avait comme une étoile sur le front… Cette dame était noble5. »

Deuxième tableau : des signes annonciateurs
Sous le regard étonné de sa famille et dans la bénédiction de Dieu le Père, des signes annonciateurs de la vocation de Dominique sont manifestés. Outre l’étoile qui continue de briller sur son front, des abeilles, symbole de l’art oratoire volètent autour de la tête de l’enfant. Elles disent combien le fondateur des Prêcheurs eut une parole douce et forte comme le miel, emplie de sagesse.
Alors que son berceau occupe une place importante dans le tableau, Dominique dort à même le sol, ses petits bras repliés sous la tête. Ainsi se trouve figurée l’une des formes ascétiques qu’il pratiqua durant sa vie adulte : le refus d’une couche douillette.
L’association des trois signes indique au spectateur l’orientation de la vie de Dominique : pratiquer une vie ascétique pour prêcher et, par la parole et l’exemple, illuminer autrui.
De ce fait, « dès le berceau, il fut d’un très bon naturel et déjà son enfance insigne annonçait le grand avenir que l’on pouvait attendre de sa maturité6 ».

Troisième tableau : la vente des parchemins à Palencia
La compassion et la miséricorde dont Dominique fit toujours preuve à l’égard de ses semblables en vue de leur salut physique et spirituel trouve ici un point inaugural dans les évènements connus de sa vie.

« Au temps où il poursuivait ses études à Palencia, une grande famine s’étendit sur presque toute l’Espagne. Ému par la détresse des pauvres et brûlant en lui-même de compassion, il résolut par une seule action d’obéir à la fois aux conseils du Seigneur et de soulager de tout son pouvoir la misère des pauvres qui mouraient. Il vendit donc les livres qu’il possédait – pourtant vraiment indispensables – et toutes ses affaires. Constituant alors une aumône, il dispersa ses biens et les donna aux pauvres7 »

« Progressant de vertu en vertu, il paraissait admirable et brillait entre tous par la pureté de sa vie comme l’étoile du matin au milieu des nuées ; sa renommée parvint aux oreilles de l’évêque d’Osma. Celui-ci s’informa avec soin de la vérité de ces bruits, manda près de lui Dominique et le fit chanoine régulier de son Église8. »

 Étoile, Dominique l’est et sa lumière en entraîne déjà d’autres. Étudiants théologiens et maîtres vendirent à leur tour leurs biens pour les répandre en aumônes.

 

 


4- Saint Dominique. La vie apostolique. Textes du XIIIe siècle, éd. Marie-Humbert Vicaire, Paris, Le Cerf, « Chrétiens de tous les temps, 9 », 1983, p. 32.
5- Gérard de Frachet, Saint Dominique et ses frères. Évangile ou croisade ? Textes du XIIIe siècle, éd. Marie-Humbert Vicaire, Paris, Le Cerf, « Chrétiens de tous les temps, 19 », 1979, p. 53, 9a.
6- Jourdain de Saxe, Libellus, dans Saint Dominique et ses frères. Évangile ou croisade ?, p. 52.
7- Op. cit., p. 54-55.
8- Ibidem.

 

2e rangée

La naissance de l’Ordre des Prêcheurs

L’évêque Diègue d’Osma, au service de qui Dominique se mit en tant que chanoine, fut envoyé en mission diplomatique pour conclure le mariage entre l’infant de Castille et une princesse du royaume de Danemark. Le voyage vers ce pays du Nord imposait de traverser le Sud-Ouest de la France où une hérésie divisait l’Église et les seigneurs, laissant les évêques locaux fort démunis pour tenter de rassembler les chrétiens dans l’unité et l’orthodoxie de la foi. Diègue d’Osma et Dominique formèrent le projet de prêter main-forte aux légats que le pape avait envoyés pour enrayer l’expansion hérétique.
Tout en œuvrant dans la région du Languedoc et dans celle de Toulouse, Diègue demeurait responsable de son diocèse. Parti accomplir ses responsabilités à Osma, il y mourut, laissant Dominique répondre seul à l’élan missionnaire qui les animait.

vie-saint-dominique-2

 

Premier tableau : avec les armes de l’évangile, conduire tout homme à la conversion
Avec d’autres évêques, Dominique donna suite à l’intuition initiale : se dépouiller (l’évêque et Dominique sont pieds nus) et, dans la pauvreté évangélique, annoncer la parole de vérité plus tranchante qu’un glaive (Dominique tient un glaive dans la main) pour retourner le cœur des hérétiques. La conversion en cours de l’hérétique, qui aurait préféré entraîner Dominique et l’évêque dans un mauvais chemin de ronces et d’épines, est ici symbolisée par sa position ambiguë.

 

Deuxième tableau : être prêcheur, nouveauté et spécificité
L’Ordre fondé par Dominique est un Ordre de Prêcheurs. Non un Ordre de prédicateurs prêchant ponctuellement, mais un Ordre dont toute la vie est totalement députée à la prédication, tant dans l’acte de prêcher lui-même qu’en toute autre activité quotidienne.
Ce fut au XIIIe siècle, et demeurait au XVIIe siècle, une nouveauté radicale et une spécificité inégalée. Pour le rendre en image, deux signes sont employés :
- le chien couché près d’un globe et tenant en sa gueule une torche enflammée. Les Prêcheurs sont, tels les chiens du Bon Berger, les gardiens des brebis que sont les croyants dans l’évangile selon saint Jean (ch. 10). Ils les protègent, par la lumière de la charité et de la Parole de Dieu, des attaques des hérétiques, assimilés aux bêtes féroces, loups et renards, qui dispersent et dépècent le troupeau.
- le rosaire (ici tendue par la Vierge Marie à saint Dominique) est pour les Prêcheurs un instrument précieux pour la prédication. Il est tout à la fois un outil mnémotechnique des épisodes de la vie du Christ Sauveur et un soutien dans la dévotion, en particulier à la Mère de Dieu qui veille sur tout croyant, « maintenant et à l’heure de la mort9 ».

 

Troisième tableau : l’approbation du pape Honorius III
Ils furent plusieurs à accompagner Dominique dans sa prédication itinérante mais, de manière certaine, ce n’est qu’en 1215, à Toulouse, que de jeunes gens se lièrent à Dominique dans une oblation religieuse. L’évêque Foulques de Toulouse se portait garant de ces nouveaux prédicateurs. Cependant, pour pouvoir aller librement en tout diocèse où ils seraient accueillis par l’évêque du lieu, il était nécessaire d’obtenir une confirmation papale et des lettres les accréditant. Le 22 décembre 1216, Honorius III remit à Dominique la première bulle d’approbation qui fut suivie, dès janvier 1217, d’une deuxième.
Ainsi, selon le songe d’Innocent III, prédécesseur d’Honorius III, Dominique et ses frères allaient pouvoir consolider l’Église, là où elle présentait des points faibles. Dominique relevant une église est la petite scène très estompée dans le coin supérieur droit du tableau.

 


 

9- La tradition de la remise du rosaire à saint Dominique n’appartient pas aux récits fondateurs de l’Ordre. Il s’agit d’une légende plus tardive qui reporte sur saint Dominique la pratique que l’Ordre s’attacha à développer progressivement.

 

3e rangée

De quelques points forts de la vie des Prêcheurs

Chaque réforme instituée au cours de la traversée des siècles par l’Ordre vise, par une observance plus fidèle, à se conformer aux valeurs propres aux Prêcheurs depuis les origines. Mais pour ce faire, il convient de s’accorder sur ce que sont ces valeurs toujours orientées vers la prédication.

vie-saint-dominique-3

Premier tableau : saint Pierre et saint Paul confirment l’apostolicité de l’Ordre
« Tandis que l’homme de Dieu était à Rome et répandait ses prières en présence de Dieu dans la basilique de saint Pierre pour la conservation et le développement de l’Ordre que la dextre divine propageait par ses soins, la main de Dieu fondit sur lui. Il vit paraître Pierre et Paul, ces princes pleins de gloire. Le premier, Pierre, lui conféra le bâton ; Paul, le livre ; et tous deux ajoutèrent : ‘Va et prêche car Dieu t’a choisi pour ce ministère’. Alors en un instant, il lui sembla voir ses fils dispersés dans le monde entier, s’en allant deux par deux pour prêcher au peuple la parole de Dieu10. »

Dans le contexte du XIIIe siècle, il convenait pour un groupe religieux attaché à l’Église romaine d’être distingué des groupes hérétiques. Les approbations épiscopales et papales jouaient ce rôle, l’apparition de saint Pierre et de saint Paul également. Elle inscrit l’Ordre dans la tradition apostolique et mandate les frères pour une mission évangélisatrice en continuité avec celle que vécut la première génération chrétienne guidée par les apôtres. Cette délégation de la prédication à saint Dominique et à ses frères est symbolisée par le don du bâton du prêcheur et par la remise du livre des Écritures, de la Parole à annoncer.

Deuxième tableau : avec sainte Cécile et sainte Catherine, célébrer et étudier
Dès août 1217, saint Dominique dispersa la petite communauté à travers l’Europe.

« Après avoir dispersé ses frères, Dominique quitta le pays toulousain. Il prêcha en Italie du nord et résida à Rome. Le tableau représente une scène qui s’est passée du temps où Dominique était au couvent Sainte-Sabine à Rome.

« Dominique veillait et priait pendant la nuit. Il eut, selon Thierry d’Apolda, une vision : trois femmes passaient parmi les frères endormis pour les bénir avec de l’eau baptismale. À la question de Dominique, la Vierge Marie, au centre du panneau, répondit qu’elle était celle qui était invoquée tous les soirs au chant du Salve Regina comme ‘l’avocate’ et que ses compagnes étaient Catherine et Cécile. Catherine [d’Alexandrie] est la patronne des philosophes. Représentée un instrument de musique dans les bras, Cécile est la patronne de la liturgie.

« Quand les Frères Prêcheurs ne sont pas au dehors pour annoncer l’Évangile, ils consacrent leur temps à l’étude et à la prière communautaire. Leur ascèse est dans l’étude et la fidélité à la prière et, de ce fait, leur sommeil est paisible comme il advient à ceux qui ont le cœur pur11. »

Troisième tableau : en toute circonstance, annoncer la Parole
Prêcher est également une œuvre ascétique. Mais l’adversité des éléments naturels et l’hostilité des personnes ne sauraient arrêter l’ardeur apostolique. Tel est le sens à dégager de l’évènement miraculeux rapporté par Bertrand de Garrigues, compagnon de saint Dominique :

« Pendant un voyage qu’il faisait un jour avec lui un grand orage s’éleva. Une pluie diluvienne avait déjà trempé le sol, lorsque maître Dominique, par un signe de croix, repoussa si bien devant lui l’inondation torrentielle, qu’en avançant ils continuaient de voir devant eux la pluie qui dégoulinait sur la terre sans qu’une seule goutte touchât même la frange de leur vêtement12. »

Poursuivre la mission de prédication des apôtres, en allant deux par deux, sans se laisser rebuter par les évènements contraires, et nourris par une intense vie de prière et d’étude, telle était la relecture de leur vocation par les frères toulousains observants du XVIIe siècle.



10-D’après Constantin d’Orvieto, dans Saint Dominique et ses frères. Évangile ou croisade ? Textes du XIIIe siècle, éd. Marie-Humbert Vicaire, Paris, Le Cerf, « Chrétiens de tous les temps, 19 », 1979, p. 86-87.
11-Jean-Michel Maldamé, Vie de saint Dominique. Tableaux de Balthazar-Thomas Moncornet, Toulouse, Institut catholique de Toulouse, 1998, p. 24.
12-Jourdain de Saxe, Libellus, dans Saint Dominique et ses frères. Évangile ou croisade ? Textes du XIIIe siècle, éd. Marie-Humbert Vicaire, Paris, Le Cerf, « Chrétiens de tous les temps, 19 », 1979, p. 128.

4e rangée

Le salut, œuvre du Christ, au cœur de la prédication

Le but de la prédication est d’annoncer aux hommes le salut acquis par le Christ en sa mort et sa résurrection. Trois scènes de la vie de Dominique manifestent ici de manière visuelle ce salut qui rejoint l’homme dans la totalité de son être.    

vie-saint-dominique-4

Premier tableau : saint Dominique et l’expérience du salut
Dominique, aussi saint soit-il, n’est pas exempt du péché et de l’adversité du mal. Lui-même fait l’expérience que le salut vient du Christ et de lui seul.
Des fuites d’eau ont endommagé la peinture ; néanmoins dans la partie supérieure, se laisse encore deviner, en rouge, le diable qui tient dans les mains levées au-dessus de sa tête une pierre qu’il s’apprête à jeter sur Dominique pour l’occire13. C’est sans compter sur la confiance que Dominique place dans le Christ Sauveur.

Deuxième tableau : la résurrection d’un architecte à Rome
Au couvent Saint-Sixte, à Rome, « un éboulement se produisit qui enterra dans un sous-sol un architecte que les frères avaient engagé. L’homme demeura longtemps étouffé sous le tas des maçonneries écroulées. Les frères se précipitèrent en apprenant cet accident si terrible et inattendu. Ils s’affligèrent au-delà de toute expression, inquiets à la fois de l’incertitude où l’on était quant à l'état de l’âme du défunt et de l’agitation tumultueuse du peuple excité contre eux. […] L’homme de Dieu, Dominique notre père affectueux, dont le cœur était plein de confiance envers le Seigneur ne put supporter la désolation de ses frères. Il fit apporter le corps du défunt qu’on avait tiré du souterrain et par la vertu de ses prières, sur-le-champ, le rendit à la fois à la vie et à la santé14. »

Troisième tableau : la résurrection d’un enfant à Rome
Inspirée par les récits évangéliques, Sœur Cécile se remémore :

« Une femme, citoyenne romaine, de la paroisse du Saint-Sauveur-in-Pensilis et originaire de Buvalisco, qui s’appelait dame Tuta, avait en grande dévotion le bienheureux Dominique. Or son unique petit enfant était gravement malade. Un jour donc où le bienheureux Dominique prêchait dans l’église Saint-Marc de cette ville, ladite matrone enflammée du désir d’entendre de sa bouche la parole de Dieu, laissa son fils dans cet état, et se rendit à l’église où le bienheureux Dominique prêchait la parole du Seigneur. Le sermon fini, et de retour chez elle, elle trouva mort son enfant. Elle en fut frappée d’une extrême douleur, mais elle refoula silencieusement son émotion ; et confiante dans la puissance de Dieu et les mérites du bienheureux Dominique, elle prit ses servantes avec elle et, emportant son fils défunt, vint trouver le bienheureux Dominique à l’église Saint-Sixte où il demeurait alors avec les frères. À cette époque on préparait la maison pour recevoir les sœurs ; aussi, comme on laissait ouvert à cause des ouvriers, d’autres personnes pouvaient-elles pénétrer. Elle entra et trouva le bienheureux Dominique debout à la porte du chapitre, comme s’il y attendait quelque chose. En le voyant, elle déposa son enfant à ses pieds et, prosternée devant lui, se mit à le supplier avec larmes de lui rendre son fils. Alors le bienheureux Dominique, pris de compassion devant cette violente douleur, s’écarta d’elle un peu, fit une brève prière, se releva, et s’approchant de l’enfant, traça sur lui le signe de la croix, puis, lui prenant la main, il le releva plein de vie et de santé et le rendit sain et sauf à sa mère, la priant de n’en rien dire. Mais elle, revenant en grande allégresse à la maison avec son fils, raconta ce qui venait de leur arriver, si bien que le bruit en parvint jusqu’aux oreilles du Souverain Pontife qui voulut faire connaître ce miracle à tout le peuple dans une prédication publique. Mais le bienheureux Dominique, véritable amant et gardien de l’humilité, l’en empêcha, déclarant que, dans ce cas, il passerait la mer et irait chez les Sarrasins, et ne demeurerait plus dans ce pays. Pris de crainte, le Pontife se garda de publier cette histoire, mais le Seigneur, qui a dit dans l’Évangile : ‘Celui qui s’humilie sera exalté’, et qui a coutume de magnifier et d’exalter ses serviteurs contre leurs désirs et leurs propos, excita tellement dès lors la dévotion du peuple et des grands en révérence du bienheureux Dominique, qu’on le suivait partout comme un ange de Dieu et que chacun s’estimait heureux de pouvoir le toucher ou posséder quelque relique de ses vêtements. On en vint ainsi à couper tellement sa chape et son capuce, qu’ils lui arrivaient à peine aux genoux. Les frères s’efforçaient de protéger ses vêtements, mais le bienheureux père, se réjouissant de cette piété, leur disait : ‘Laissez-les faire et satisfaire leur dévotion’.
« Étaient présents à ce si grand miracle : frère Tancrède, frère Othon, frère Henri, frère Grégoire, frère Albert et plusieurs autres. Ils rapportèrent dans la suite tout cela à sœur Cécile, qui demeurait encore au monastère de Sainte-Marie-in-Tempulo, et autres moniales14. »

 

12-Jourdain de Saxe, Libellus, dans Saint Dominique et ses frères. Évangile ou croisade ? Textes du XIIIe siècle, éd. Marie-Humbert Vicaire, Paris, Le Cerf, « Chrétiens de tous les temps, 19 », 1979, p. 128.
13-Sur cet épisode, voir Jean Giffre de Rechac, La vie du glorieux patriarche saint Dominique…, Paris, chez Huré, 1647, tome 1, p. 377.
14-Constantin d’Orvieto, dans Saint Dominique et ses frères. Évangile ou croisade ? Textes du XIIIe siècle, éd. Marie-Humbert Vicaire, Paris, Le Cerf, « Chrétiens de tous les temps, 19 », 1979, p. 120.

 

5e rangée

 

La sainteté de Dominique, une intimité avec le Seigneur

La dernière rangée semble revenir sur la sainteté de Dominique elle-même en tant qu’intimité avec le Seigneur. Mais chez Dominique, point de division entre la relation personnelle avec Dieu et la vie donnée pour le salut d’autrui. L’une nourrit l’autre et la seconde signe de fécondité la première.

vie-saint-dominique-5

Premier tableau : la discipline comme moyen de conversion personnelle
Le témoignage de Frère Jean d’Espagne qui fit profession dans les mains du fondateur au couvent Saint-Romain de Toulouse sur la piété de Dominique fut ainsi recueilli à Bologne lors du procès de canonisation :

« Dominique était assidu à l’oraison le jour et la nuit ; il priait plus que les autres frères avec lesquels il vivait, veillait plus longtemps qu’eux et châtiait son corps de disciplines plus rudes et plus fréquentes. Le témoin le sait parce qu’il l’a vu très souvent agir ainsi. Il a entendu quelques frères dire qu’il se faisait flageller et se flagellait lui-même avec une chaîne de fer à trois branches16. »

Deuxième tableau : l’annonce de la communion plénière à la vie divine
La piété de Dominique est animée du désir de rejoindre son Seigneur. Sa prière se fait brûlante et s’intensifie peu de temps avant sa mort :

« ‘Quand est-ce que je laisserai cette maison de terre, ce corps de gange et de boue pour aller voir mon tout et mon Dieu ?’ Le ciel ne le fit souffrir davantage en ses langueurs. Dieu lui députa pour le consoler en ses désirs ardents, un de ses anges, lequel avait été chargé de lui porter les nouvelles de son prochain départ. Le saint était alors dans les plus grands élans et consommées ferveurs de son oraison lorsqu’il vit apparaître devant ses yeux un de ces officiers de la Cour Céleste, ravissant en beauté, brillant de lumières et d’un attrait incomparable de douceur en sa face. ‘Viens, bien-aimé de notre Maître, lui dit-il, et dispose-toi pour entrer en ces vraies joies réservées pour les élus’. Le saint, à ces nouvelles, crut déjà posséder le Paradis, si grande fut la joie qui fit un déluge dans son cœur. Reprenant toutefois ses esprits, il considéra que c’était un avertissement pour mourir bientôt et qu’il devait ordonner ce qui était nécessaire pour le bien de ses enfants17. »

« Avant sa mort, il dit également aux frères qu’il leur serait plus utile disparu que vivant. Il connaissait assurément Celui auquel il avait confié le dépôt de son labeur et de sa vie féconde et ne doutait pas de la couronne de justice qui lui serait réservée18. »

Troisième tableau : mort terrestre et montée céleste de saint Dominique
Plusieurs paroles de réconfort de Dominique à ses frères ont été conservées comme un testament spirituel à accomplir de génération en génération. Ces paroles continuent de rassembler les membres de l’Ordre dans la mémoire du fondateur tout comme son corps – toujours au couvent de Bologne où il mourut – attire ceux qui se confient à son intercession de puis le 6 août 1221.

La mort de Dominique n’est pas une fin en soi, ni pour lui, ni pour l’Ordre mais un commencement que le jeune frère artiste a tenu à faire remarquer. Dans le groupe des frères à droite sur le panneau, l’un d’eux tient son index levé pour indiquer que l’évènement terrestre de la mort est un évènement spirituel d’avènement au ciel. Parmi les frères de gauche, l’un, doté d’un bras démesuré, indique de la main le corps de Dominique. Mais son regard tourné sur la gauche fait le lien avec un autre frère au visage levé vers le ciel et coupé par le montant du cadre. Ce frère, Guala de son prénom, était prieur du couvent de Brescia (Italie). Lors de la mort de Dominique, il s’était endormi « d’un sommeil assez léger » sous le campanile de ce couvent.

« Il aperçut une sorte d’ouverture dans le ciel par laquelle descendaient deux échelles radieuses [voir les échelles en arrière-plan sur le panneau peint]. Le Christ tenait le haut de la première échelle, sa mère le haut de l’autre ; et les anges les parcouraient toutes deux, les descendant et remontant. Un siège était placé en bas, entre les deux échelles, et quelqu’un sur le siège. Ce paraissait un frère de l’Ordre ; son visage était voilé par le capuce comme nous avons coutume d’ensevelir nos morts. Le Christ et sa mère tiraient peu à peu vers le haut les échelles, jusqu’à ce que celui qu’on avait installé tout en bas parvînt jusqu’au sommet. Quand on l’eut reçu dans le ciel, au chant des anges, dans la splendeur d’une lumière immense, l’étincelante ouverture du ciel se ferma et plus rien désormais ne se présenta. Le frère qui avait eu la vision, quoiqu’il fût assez malade et faible, reprit bientôt ses forces et partit sur-le-champ pour Bologne. Il y apprit que le même jour, à la même heure, le serviteur du Christ Dominique y était mort19. »



16-Saint Dominique. La vie apostolique. Textes du XIIIe siècle, éd. Marie-Humbert Vicaire, Paris, Le Cerf, « Chrétiens de tous les temps, 9 », 1983, p. 51-52.
17-Jean Giffre de Rechac, La vie du glorieux patriarche saint Dominique…, Paris, chez Huré, 1647, tome 1, p. 486-487.
18-Jourdain de Saxe, Libellus, dans Saint Dominique et ses frères. Évangile ou croisade ?Textes du XIIIe siècle, éd. Marie-Humbert Vicaire, Paris, Le Cerf, « Chrétiens de tous les temps, 19 », 1979, p. 125.
19- Jourdain de Saxe, Libellus, dans Saint Dominique et ses frères. Évangile ou croisade ? Textes du XIIIe siècle, éd. Marie-Humbert Vicaire, Paris, Le Cerf, « Chrétiens de tous les temps, 19 », 1979, p. 125-126.

FacebookTwitterGoogle Bookmarks